Complicités (Va-et-Vient N°12)

Échange avec Amélie Gressier sur le thème « Complicités »
Retrouvez ma contribution sur son blog : Une plume dans la main.

Les autres participants au Va-et-Vient du mois :

M.-C. Grimard (Promenades en ailleurs
Marlen Sauvage (Les ateliers du déluge)

Isabelle-Marie d’Angèle
Jérôme Decoux (Carnets paresseux)

Dominique Autrou (La distance au personnage)
Dominique Hasselmann (Métronomiques)

Illustration : Quint Buchholz

– Prêt ?
– Prêt. J’ai mon parapluie.
– C’est bien pour ça que je pose la question. On est dans le désert, ça fait des mois qu’il a pas plu.
– Justement. Plus le temps passe, plus on se rapproche du moment où la pluie reviendra.

Diego n’a pas tout à fait tort mais L’As remarque une absence totale de nuages. Il garde ça pour lui. Le téléphone de la cabine profite de ce blanc pour sonner. Un coup bref et deux coups longs. C’est le signal. Jackie ne les a pas oubliés.

– Jackie nous as pas oubliés, Diego. Le bus est parti, le pompiste déjeune dans l’arrière-boutique. Ça sent bon…

L’As regrette immédiatement cette phrase. Diego renifle déjà l’air sec à la recherche d’une odeur de chips au vinaigre ou de muffin au chocolat.

– Je veux dire que notre plan semble bien parti.
– Ah oui, je me disais aussi…
– Si Jackie nous a appelés, c’est qu’elle a dégoté une voiture pour nous retrouver à Santa Matsu. On récupère notre paquetage et on se met en route. T’as pris la carte ?
– La carte ?
– La carte, Diego… Le plan de la région, la carte routière quoi !
– …
– Tu l’as oubliée ?
– Mais j’ai pas l’habitude moi ! Je prends jamais de carte !
– On doit aller dans une ville qu’on connaît pas depuis une station essence dans le désert, et toi au lieu de prendre une carte, tu prends un parapluie. Y’a rien qui te choque ?
– J’ai pas pris que mon parapluie.
– T’as pris quoi d’autre ?
– J’ai mon Da Vinci Code dédicacé par Dan Brown, au cas où.
– Au cas où quoi ?
– Bah au cas où il rapplique comme la dernière fois, quand on s’est retrouvé dans le bus.
– Mais ça n’a aucun sens !
– De toute façon y’a que deux chemins : soit l’autoroute du bus, soit “Toutes directions”. En prenant ça, on arrivera forcément où on veut. C’est pas compliqué et c’est logique.

L’As doit bien admettre qu’il y a du vrai là-dedans. Ils s’apprêtent à partir quand le téléphone sonne à nouveau. Des coups brefs. Diego et L’As se regardent. De toute évidence, ça n’est pas Jackie.

– Ça doit pas être Jackie.
– Qui ça peut bien être alors ?
– Surveille que le pompiste ressorte pas, je vais décrocher.

L’As attrape le combiné, prononce quelques mots, hoche la tête inutilement et raccroche.

– C’était Dan Brown.
– Ah ! Tu vois ! Et alors ?
– Il attend Jackie mais ça bouchonne encore sur le périph. Ils seront en retard. Mais c’est pas pour autant qu’on va traîner.
– OK. En route alors.
– Autre chose. Il m’a dit de suivre le livre.
– Comment ça ?
– D’après lui, on lâche le bouquin, et il va nous mener à Santa Matsu. Et même directement à leur voiture.
– Ils ont quoi comme voiture ?
– Une Porsche Fuego.
– Ça existe, ça ?
– Non. Mais un livre volant qui a le sens de l’orientation non plus. Donc ça s’annule.

Diego et L’As prennent leur barda et s’éloignent de la station service. Diego lâche le bouquin. L’exemplaire dédicacé commence par planer, avant de tourner vers la droite et d’avancer dans le sens du panneau “Toutes directions”, sans surprise. Les deux complices se regardent et se mettent à suivre le guide, sûrs d’eux.

À l’autre bout du chemin, Jackie et Dan Brown se sont eux aussi bien trouvés.
– Votre prénom s’accorde particulièrement bien avec mon nom de famille.
– C’est mon côté hôtesse de l’air.

Les deux duos font route vers Santa Matsu, une ville qui n’existe pas non plus. Pourtant, grâce à elle, de nouveaux liens devraient se tisser. Ce qui est certain, c’est qu’entre le début et la fin de cette histoire, d’autres connexions se sont établies : avec un bus raté, avec une croix au sol, avec des redoublements.
Peut-être qu’organiser tout ça dans un ordre différent donnerait des histoires qui vivraient leur propre vie, avec l’aide des autres pour les guider dans le désert à la recherche d’une Porsche Fuego. Quoi qu’il en soit, les deux…

– L’As, dis-lui de se taire, ça m’énerve et j’entends pas bien.
– T’entends pas quoi ?
– Le tonnerre qui gronde. Tu vois ! J’ai bien fait de prendre mon parapluie.

Les quatre saisons du chat

Je suis le chat rouquin ; j’habite le printemps.
Les moustaches mouillées de vert et d’origan.

Je suis le chat brossé ; l’esprit de la maison.
Mon royaume est grand : trois étages de gazon !

Je suis le chat d’ailleurs, prudence et cache-nez.
Je sens le foin, le fer, la pomme et le brouillard.

Je suis le chat repus qui brille dans le noir.
Le vent, le feu dans l’âtre occupent mes journées.

Illustration : Félix Vallotton

Après la marche

La mer est une invitation à ne plus écrire. Qui vous aspire et vous rejette — froid, muet, sec — avec les premières vagues du jour.
Après la marche, heureusement, le café chaud. À la fenêtre, le goût de la brioche et le ciel qui, là-bas, déjà s’ouvre. Le plaisir, tout au beurre, des mots revenus.

Entre points et virgules

Souvent la musique est l’énergie de mes compositions. Lentement — comme le voyage accompli, autrefois, entrait en gare dans son manteau de vapeur relâchée — le billet se profile à l’horizon de la page, auréolé de mots vagues encore et d’idées assourdies, silhouette informe dont la construction se précise et qui va s’affirmant à travers les notes, découvertes ou reconnues. Je ne sais jamais de quoi sera fait le prochain attelage. Parfois je ne mets rien sur les rails. Parfois le sifflet joyeux d’un premier mot, le tour de roue puissant d’une première phrase déclenchent le mouvement et annoncent le départ d’une nouvelle aventure.
Et c’est un moment toujours magique, amusé, satisfaisant, de voir ainsi les images apparaître et s’organiser entre points et virgules. De sentir l’inspiration courir au long des voitures, donner du souffle au sujet, alimenter la mécanique du clavier. Qu’un rayon de soleil traverse un moment de tristesse ou qu’une obligation du quotidien percute le convoi à peine formé et c’est le dérisoire qui, soudain, enfume et obscurcit la tête, la réalité qui, tout à coup, rétrécie la voie. Le billet déraille. Au contraire, que l’atmosphère de la pièce soit en accord avec mon humeur, avec la mélodie, avec le tempo de mon cerveau-machine et l’évasion sera possible, parfois facile, rapide et joliment panachée !

Quel piano fait-il ce matin ?

Illustration : Claude Monet

L’heure de rentrer

Il y a des rouleaux de ciel qui tombent dans la mer.
De la fourrure de craie accrochée à la horde en mouvement.
Le vent grossit, les volets grincent.
L’heure de rentrer.

Quitter le chemin, l’air coupant, les herbes vives.
Le feu qui s’éteint.
Glisser la nuit au creux d’un livre.
Attendre la pluie, sous l’édredon.

Illustration : Ron Lawson